En 1944, l’année de sa création, Le Monde est tiré en un peu plus de 100 000 exemplaires par jour. Après 80 ans, le volume de pages passées entre les presses rotatives se compte en milliards. Ce week-end, le festival du Monde accueille deux expositions durables qui ont fait du journal leur matière première.
« Le Monde à la Une » de Claire Renard et Jean-Sébastien Blanc, du studio 5.5
80 lampes comme 80 bougies à souffler : avec la collection « Le Monde à la Une », les designers cofondateurs du studio 5.5 et pionnier de l’upcycling, Claire Renard et Jean-Sébastien Blan, poursuivent leur démarque de design circulaire. Chaque luminaire, unque, est numéroté de 1944 à 2023, comme les années des Unes historique qui les recouvrent. À l’instar de la scénographie du parvis du festival du Monde, que le duo de designers conçoit chaque année depuis 3 ans, les lampes ont été fabriquées à la main, à partir des déchets récupérés dà l’imprimerie du journal, à Tremblay-en-France. Leur socle est fait de pâte de papier journal compressée et de matériau recyclé Tetra Pak (partenaire du projet), leur pied de bobinots aux dimensions exactes du format berlinois, pour que les unes y soient parfaitement accolées. « L’exercice était intéressant, car il montre que le design peut se détacher de l’esthétique, explique Jean-Sébastien Blanc. Nous voulions créer des objets qui ont du sens, qui représentent une année, racontent à la fois le monde et Le Monde. » Les deux concepteurs parlent ainsi de « beau sens ».
Le sens de ces objets se reflète notamment dans le choix des Unes. Des dates s’imposent pour leur force historique, comme la chute du mur de Berlin en 1989. D’autres pour la puissance du souvenir collectif, comme la victoire des Bleus en 1998. Certaines, pour ce qu’elles racontent de l’histoire du journal comme la une annonçant la mort du peintre Joan Miró en 1983, qui affiche la première photo en couleur du quotidien. Muriel Godeau, cheffe du service documentation du Monde, qui a participé à la sélection des éditions, reconnaît que des choix ont été difficiles à faire. « Nous avons eu une grosse hésitation pour 2001, raconte-t-elle. On pense évidemment à l’attentat du World Trade Center. Mais on s’est demandé : qui aura envie d’exposer un tel souvenir dans son salon ? » Le choix se porte alors sur le passage à l’an 2001, l’entrée dans le XXIe siècle.
Les 80 modèles uniques de luminaires, en vente depuis le 5 septembre lors de leur exposition à la Paris Design Week, ont déjà toutes été vendues. La collection restera cependant exposée dans le hall du Monde, en accès libre jusqu’à la fin du festival, dimanche 22 septembre.
Sublimer « Le Monde », les œuvres d’Yves François
Depuis 30 ans, le plasticien Yves François a fait du Monde la matière première de ses œuvres. Les journaux qu’il récupère sont d’abord soumis à toutes sortes de tourments : il les découpe, les déchire, les plie, les compresse ou les broie. Puis il les assemble en sculptures, en tableaux ou encore en bijoux. Une collection d’œuvres durables qui rend ainsi hommage à l’importance de la presse et son rôle dans la démocratie.
Habitué à recevoir le quotidien depuis l’enfance, Yves François se souvient d’une époque où Le Monde était considéré comme le journal le plus gris, sans couleurs ni photos. L’enjeu de l’artiste était donc de construire des objets qui permettent de voir les couleurs du journal : « De jouer avec Le Monde pour en faire sortir un monde. » Yves François joue aussi avec les mots. L’ensemble d’œuvres baptisées « Les couleurs du Monde » sont réalisées avec des pages de journal qu’il a pliées en bâtonnets et projetées au sol comme la peinture sur une toile de l’Américain Jackson Pollock. « Ce qui m’intéresse, c’est le geste spontané » ,défend Yves François.
Autre œuvre de l’exposition : Les Érectibles, aussi nommées « Monument au quotidien » , forment des colonnes de papier journal qu’il imagine en 1994. Pour ces sculptures, il s’inspire de la lente formation des stalactites qui s’érigent goutte après goutte, sauf qu’ici « c’est l’accumulation de texte qui permet la verticalité », détaille Yves François. Après trois décennies, le papier a jauni, mais les colonnes sont toujours debout. « Elles ont la peau dure, sourit l’artiste. Ça prouve que leurs textes aussi durent dans le temps. »