Après un mois et demi d’audience, le parquet a requis, mercredi 13 novembre, des peines d’inéligibilité contre Marine Le Pen et les vingt-quatre autres prévenus – cadres du parti, ex-eurodéputés et anciens assistants parlementaires -, « modulées » en fonction des responsabilités de chacun. L’accusation a requis cinq ans de prison dont deux ferme aménageables, et cinq ans d’inéligibilité, contre la cheffe des députés RN.
Les procureurs ont demandé à ce que cette peine soit assortie d’une « exécution provisoire », c’est-à-dire qu’elle s’applique immédiatement, même si les accusés font appel. Une telle peine « viendrait interdire aux prévenus de se présenter à des futures élections locales ou nationales », a précisé le procureur devant la triple candidate à la présidentielle assise au premier rang des prévenus. Mais « nous sommes ici dans une enceinte judiciaire et le droit s’applique à tous ».
Une amende de 4,3 millions d’euros dont 2 millions avec sursis a par ailleurs été requise contre le parti.
Des « contrats artificiels » d’assistants parlementaires afin de « faire économiser » de l’argent au Rassemblement national : l’accusation a dépeint mercredi dans son réquisitoire un « système organisé » de détournement de fonds publics au préjudice du Parlement européen.
« Nous ne sommes pas ici aujourd’hui en raison d’un acharnement », ni à cause d’une dénonciation « du Parlement européen », mais au terme « d’une longue information judiciaire », déclare d’emblée l’une des deux représentantes de l’accusation, Louise Neyton. « Vous prendrez votre décision au vu des pièces du dossier », et après « six semaines d’audience » et des « débats particulièrement fournis », poursuit la magistrate dans une salle d’audience pleine où Marine Le Pen s’est assise au premier rang au côté de Louis Aliot, actuel numéro 2 du RN.
« Leur seul objectif, c’est de m’empêcher d’être la candidate de mon camp à la présidentielle [de 2027]. Il faut être sourd et aveugle pour ne pas le voir », avait déclaré plus tôt la triple candidate à la présidentielle. La semaine dernière, elle disait au tribunal que la peine d’inéligibilité qu’elle encourait aurait des « conséquences extrêmement graves », comme priver des millions d’électeurs de « leur candidate ».
Tour à tour au fil de leurs réquisitions, les deux procureurs avaient détaillé l’architecture d’un « système » qui a selon eux été mis en place au Front national (devenu RN) entre 2004 et 2016, consistant à embaucher des assistants parlementaires européens « fictifs » qui travaillaient en réalité pour le parti.
« Preuve standard »
A l’époque, « le parti est dans une situation financière particulièrement tendue. Tout ce qui peut contribuer à l’allègement des charges va être utilisé de manière systématique », que ce soit « légal ou pas », a affirmé Louise Neyton, alors que Marine Le Pen faisait des « non » vigoureux de la tête.
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Le Parlement européen ne fait que des « contrôles comptables », pour le reste il fait « confiance » aux eurodéputés quant à l’utilisation de leur dotation mensuelle de 21 000 euros : « Alors, c’est trop tentant, ces enveloppes vont apparaître comme une aubaine et être utilisées comme telles », a insisté la magistrate. Et ce « système », dit l’accusation, va « se renforcer » avec l’arrivée, en 2011, de Marine Le Pen à la tête du parti, avec un salarié chargé de la gestion des contrats européens, qui rend compte « seulement » à la présidente, la « donneuse d’ordres ».
En 2014, après l’élection d’une vingtaine d’eurodéputés FN, le trésorier du parti Wallerand de Saint-Just écrit : « Nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen », rappelle la procureure. Et d’évoquer les mails – « pas tous, il y en a trop » – parlant de « montages financiers », de « transferts » de tel assistant « sur » tel député en fonction de la disponibilité des enveloppes. L’un ou l’autre, « tu peux choisir », est-il écrit dans un message.
Face à « la fiction alternative » proposée en défense, les procureurs se sont plongé ensuite longuement dans le détail du dossier. Prévenu par prévenu et contrat par contrat, ils ont décortiqué pour chacun « la nature du travail » effectué par les 12 assistants parlementaires, le « lien de subordination » qu’ils entretiennent avec « leur député » européen – neuf dont Marine Le Pen étaient jugés au total, pour détournement de fonds publics.
Avec un constat général. En justificatif de travail, « il n’y a rien », sauf « la fameuse preuve standard : la revue de presse ». Les contrats de travail ? « Artificiels », sans « cohérence » – « on est très contents de quelqu’un mais on s’en sépare, puis on le reprend », a commenté Nicolas Barret. Des « déclarations à géométrie variable », voire du « n’importe quoi », a résumé Louise Neyton.
Le Parlement européen avait évalué son préjudice financier à 4,5 millions d’euros, mais n’en réclamait que 3,4 (une partie ayant été remboursée).